Narratogenic Emergence – Theory paper module 4
Tamis Chavignol
L’émergence narratogène et la fiction comme module de réalité
2019
Un texte n’est pas un texte. Une antisèche est une antisèche. Un reçu est un reçu. Un mode d’emploi pour un réfrigérateur n’est rien d’autre qu’un mode d’emploi pour un réfrigérateur. Aucun de ces trois textes n’est un texte fictionnel.
Madame Bovary de Gustave Flaubert est un texte fictionnel. Le récit Le Koala, écrit par une autrice amateure de Nantes, en est également un. Mais Madame Bovary produit quelque chose que Le Koala ne produit pas. Qu’est-ce que c’est ?
La distinction classique entre « bons textes » et « mauvais textes » paraît insuffisante. Nous adoptons donc une terminologie plus audacieuse : il existe des textes vivants et des textes inertes, des textes-sujets et des textes-objets – comme il existe, d’un côté, des humains et des animaux doués de langage et, de l’autre, des animaux dépourvus de langage. Le Koala est un texte vivant mais c’est un texte-objet. Il existe grâce au langage. Madame Bovary est un texte vivant mais c’est un texte-sujet. Ce texte sait ce qu’il veut.
Ce qui rend un texte vivant, c’est sa capacité à s’auto-organiser, changer de phase et interagir avec des systèmes réels. Un texte inerte ne dispose d’aucune de ces trois caractéristiques. Il ne peut pas se constituer en module de réalité.
Notre hypothèse est la suivante : la fiction n’est pas un miroir du monde, elle est un système qui peut faire naître des modules réels. Un texte narratogène est celui qui, par la densité et l’interférence de ses composantes narratives (intrigues, points de vue, strates sémantiques), produit une nouvelle organisation qui dépasse la représentation.
On appelle module de réalité l’unité d’émergence qui se forme dans les textes narratogènes et qui, ayant franchi un seuil critique, devient autonome et observable. Ce module interfère avec des structures réelles et peut les modifier. La fiction devient ainsi une intervention dans le champ des possibles.
Pour qu’un module de réalité se constitue, il faut que la densité interne du texte atteigne un intervalle critique. Cet intervalle est défini par des variables mesurables : nombre de lignes narratives, nombre de personnages, volume sémantique, gradient de tension et taux d’interférence. Lorsque ces variables se renforcent mutuellement, un module émerge.
Lorsqu’un module émerge, il n’obéit plus aux lois du texte. Il possède son propre mode d’existence et peut entrer en résonance avec des réalités extérieures. La notion de récit comme simple représentation d’un monde n’a alors plus de sens. Le texte devient un organisme capable d’agir sur la réalité.
Le centre de recherche de Bruxelles (2009-2023) a mené des expériences sur les modules de réalité. Il a utilisé des mesures de base, injecté des récits dans des groupes tests, observé des anomalies en aveugle et corrélé statistiquement ces anomalies avec les paramètres textuels. Les résultats indiquent que les modules de réalité apparaissent lorsque les textes atteignent un niveau de densité et d’interférence qui fait basculer le système. Le monde n’est pas clos : il est traversé par des histoires qui peuvent le reconfigurer.
Le projet narratogène consiste à cartographier les zones où les histoires deviennent des forces. Il s’appuie sur la Topologie de l’Imaginaire de Chavignol, qui décrit la frontière entre imaginaire et réel comme un pli topologique où les deux se mélangent. La fermeture du centre de Bruxelles en 2023 n’a pas mis fin à cette recherche. Elle a simplement déplacé son foyer.
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